Entre Proust et Truffaut, Arnaud Desplechin filme sa jeunesse avec son style romanesque, si français, si charmant!
Le cinéaste de La Sentinelle est donc allé puiser dans son passé, la matière émotionnelle qu’il va mettre en scène avec son originalité habituelle. Rarement une image a collé autant à une pensée ou une émotion. Entre simplicité évidente et quelques plaisirs maniérés, Desplechin est maître de son sujet, profitant d’un geste à la François Truffaut, rappelant son double Paul Dedalus, héros de Comment je me suis disputé (Ma vie sexuelle), et son acteur fétiche, Mathieu Almaric.
Ensemble, ils plongent dans la jeunesse troublante de ce professeur d’anthropologie, toujours un peu à coté de la plaque, perdu entre son travail et ses sentiments amoureux. On pourrait ainsi comprendre le pourquoi du comment. Eclairer les zones d’ombres ou plutôt les observer, les magnifier, les assumer!
Comme d’habitude, c’est le foutoir: Paul Dedalus se retrouve appeler par les services secrets (André Dussolier narquois) pour s’expliquer sur certains de ses voyages dans les pays de l’Est mais aussi sa mort en Australie! Voilà les excuses pour fouiller dans les souvenirs de Paul!
Il y a l’enfance et les parents difficiles de Paul. Il y a les frères et soeurs, bizarres, si proches et si différents aussi. Il y a les copains qui jouent à des jeux dangereux et seraient même capables de jouer les espions durant la Guerre Froide. Il y a les études à Paris, qui font penser à Paul qu’il est bien pauvre, le petit bourgeois de Roubaix.
Enfin il y a Esther. Il y a trois souvenirs mais Esther est envahissante et les deux premiers sont rapidement éliminés. Bientôt on ne verra que cette jeune fille fofolle, ravissante idiote avec un coeur gros comme ça! Un premier amour avec toute la violence que cela apporte.
Desplechin va donc scruter avec une minutie et une virtuosité les émotions de Paul, celles qui vont façonner l’homme. Il filme l’expérience qui va sculpter un personnage alter ego. A la recherche du temps perdu, Desplechin nous touche par sa vision romanesque de l’adolescence.
Voilà une période qui va très bien à cet auteur. Avec des héros en souffrance, des familles abîmés, il a bien l’habitude de filmer les doutes et les espérances de personnages ambigus perdus dans des intrigues qui les dépasse. Ce qui est un peu la définition de l’adolescence. Le passage à l’âge adulte n’empêche pas la perte de sens. Paul grandit mais voit des transformations de son existence comme des contraintes et des opportunités. Plus il avance dans sa vie professionnelle, plus il se perd dans ses amours.
Comme d’habitude c’est verbeux. Il y a des fêtes,du rap et du sexe mais ce n’est pas American Pie. C’est du cinéma bavard mais le réalisateur filme cela comme un western et soigne ses images, diablement iconiques autour de cette bande de jeunes, ordinaires mais aussi sublimés par les idées de Desplechin. La photographie du film semble s’adapter aux émotions défendus par l’auteur. Sensible, le film est à fleur de peau.
Servi par des comédiens parfaits, Trois souvenirs de Jeunesse emprunte à la littérature un lyrisme fou et un romantisme daté mais Desplechin fait du cinéma, du vrai, du bon, celui qui laisse des traces indélébiles dans nos mémoires.
Avec Quentin Delmaire, Lou Roy LeCollinet, Mathieu Almaric et Olivier Rabourdin – Le Pacte – 20 mai 2015 – 2h