Jeanine Cummins, l’autrice de l’impeccable American Dirt, écrit le récit d’un drame qui a frappé sa famille en 1991. Voilà qui promet un bon moment de lecture !
La famille de Jeanine Cummins a été frappée de plein fouet par l’horreur, à la fin des vacances d’été 1991, quand ses deux cousines, Julie et Robin, furent violés par quatre jeunes inconnus avant d’être balancées du haut d’un pont, avec leur cousin Tom (le frère de Jeanine), dans les eaux tumultueuses du Mississippi.
« Je les ai balancés sans mollir », annonça joyeusement Richardson, quêtant du regard un geste de félicitations de la part de Gray. Celui-ci hocha la tête en souriant, puis lui donna une tape dans le dos comme s’il venait d’accomplir une sorte de rite de passage » (page 94)
J’avais été impressionné par American Dirt qui décrivait avec acuité et sensibilité le sort des migrants mexicains (bien que l’autrice ne soit pas elle-même latino, ce qui valut à l’époque de faire l’objet d’une pathétique polémique sur le thème de l’appropriation culturelle, mais passons…). Peut-être attendais-je donc trop de ce nouveau récit ?
En tout cas je n’ai pas été convaincu. Certes, l’histoire est bouleversante et les faits relatés sont insoutenables. Mais littérairement parlant, le compte n’y est pas. Jeanine Cummins se lance dans des descriptions minutieuses mais laborieuses. Ainsi, page 120 : « Elle tira sur la cordelette pendue au mur pour allumer l’ampoule électrique au dessus du reflet de son visage malheureux dans le miroir propre. Cette pièce était si grande que Tink pensait qu’il devait s’agir d’une ancienne chambre d’amis transformée en salle de bains, et que, dans une vie antérieure, la douche avait été un dressing. »
Et page 129: « Ghrist et Tom empruntèrent côte à côte le long couloir en linoléum, et l’un d’entre eux appuya sur le bouton 4 du vieil ascenseur déglingué. » Tant qu’elle y est, pourquoi Jeanine Cummins ne nous précise pas qui des deux a appelé l’ascenseur ? Et pourquoi ne pas en préciser la marque ?! Thyssen-Krupp ? Koné ? Otis, peut-être ?
Je m’interroge aussi sur la traduction. Est-il pertinent de traduire « I am drowning » par « Je suis en train de me noyer » (page 87) ? N’aurait-il pas été plus simple, et plus efficace, de dire tout simplement « Je me noie ! » ?
A mon goût, Jeanine Cummins donne trop de détails inutiles, sans doute pour apporter de la crédibilité à son récit. Elle prétend se tenir à distance en parlant d’elle-même à la troisième personne et en se désignant par son surnom, Tink. Mais dans le même temps, elle désigne les autres protagonistes par des sobriquets familiers (« Tante Ginna », « Grand-père Art » etc). De la même manière, elle se livre à une description très américaine (c’est-à-dire aussi lyrique que mièvre…) de ses deux cousines, tout en reprochant aux médias de les présenter sous leur meilleur jour. On a en définitive l’impression que l’autrice ne sait pas si elle doit parler d’abord en tant que cousine et sœur des victimes, ou comme une narratrice objective.
On conçoit bien que les sentiments de l’autrice envers les victimes, sa proximité avec elles, puisse perturber le processus d’écriture. C’est dommage car, avec ces quatre jeunes types qui franchisent brutalement la frontière du crime, cette histoire recelait un potentiel narratif explosif !
Paru le 02 février 2023
chez 10/18
Éditions Philippe Rey
Traduit de l’anglais (américain) par Christine Auché
408 pages / 8,90 €