Sur fond de fait divers banal, Richard Price entreprend de démonter les mécanismes de tension raciale qui rendent explosives les banlieues américaines. Passionnant.
Richard Price fait partie de ces auteurs qui, d’un roman à l’autre, inscrivent leur œuvre dans un univers immuable. Depuis toujours, ses héros habitent Dempsy, une banlieue déshéritée (et imaginaire) de New York.
Dans cet environnement dur, fait de ghettos et de discrimination raciale, de chômage, de misère, de drogue et de violence « ordinaire », Richard Price installe ses histoires et ses personnages avec le naturel de celui qui a vécu dans ces quartiers, qui a connu la dèche et la toxicomanie.
Et même si cette époque est révolue pour lui (il publie depuis vingt ans des romans à succès et il scénarise à tour de bras pour Hollywood), l’homme reste marqué à jamais par cette jeunesse difficile.
Dans Ville noire, ville blanche, il met en scène les tensions interraciales entre deux communautés totalement hermétiques l’une à l’autre.
Pourquoi cette explosion soudaine dans les quartiers noirs de Dempsy ? Parce que Brenda Martin, une habitante blanche de Gannon, la petite ville résidentielle voisine pousse, une nuit, la porte du Centre Médical, hagarde et les mains en sang, et déclare avoir été agressée par un noir qui lui a volé sa voiture… dans laquelle dormait son jeune fils de 5 ans ! Et comme Brenda Martin est la sœur de Danny Martin, un inspecteur du commissariat de Gannon, la riposte policière est brutale et immédiate.
Avec la minutie et le souci du détail d’un sociologue qui aurait décidé de passionner ses lecteurs, Richard Price décrit, minute par minute, l’alchimie mystérieuse, impalpable et pourtant irrésistible qui transforme un fait divers banal en fait de société explosif.
Par les yeux (et les actes) de quelques personnages clés superbement brossés, il transforme le lecteur en témoin privilégié de cette réaction en chaîne inéluctable.
On adopte d’emblée les points de vue et les objectifs, pas forcément contradictoires d’ailleurs, de Lorenzo « big daddy » Council, le flic noir (plus travailleur social qu’agent de répression) à qui est confiée l’enquête, et de Jesse Haus, la jeune journaliste blanche (mais « enfant du pays ») du quotidien local.
On souffre avec Brenda, la jeune mère complètement déboussolée par son drame et plongée dans une sorte d’autisme traumatique dont il faudra la tirer pour faire avancer l’enquête. On bouillonne avec les jeunes de la cité Armstrong (« strong arms » – bras forts – en verlan)…
Bref, on ne lâche pas ce pavé avant le dénouement du drame personnel de la mère et collectif d’une communauté montrée du doigt. Ville noire, ville blanche est un roman intense à l’ampleur sociale urbaine universelle.
10/18 628 pages