Yongoyely à la Scala, ou comment je me suis retrouvé à parler d’excision à ma fille en sortant d’un spectacle de cirque !
Des bruits de circulation et de coups de klaxon servent de fond sonore à la grande salle rectangulaire parée de bleu de la Scala. Le bruit devient assourdissant puis le silence se fait en même temps que la lumière. Ils sont neuf, cinq femmes et quatre hommes assis sur des parpaings. Lentement, très lentement, ils se redressent, chacun.e en équilibre sur son parpaing avant de tomber, comme mort.e.
Une femme reste dressée, stoïque, belle et digne. L’un de ses partenaires monte sur sa tête (son cou est soutenu par deux porteurs). C’est intense, presque violent. Cette entrée en matière me fait alors penser que ce spectacle de cirque acrobatique ne sera pas banal. On sent immédiatement qu’il y a quelque chose de grave dans l’air, qu’on n’est pas là (que) pour rigoler. Pendant une heure, il sera question de la condition des femmes, écrasées sous leur fardeau. (Tandis qu’elles dansent avec un parpaing sur la tête, les hommes rient bruyamment et font un peu les coqs.)
En allant voir ce spectacle de cirque à la Scala de Paris, je m’attendais à voir de joyeuses cabrioles et j’ai été servi ! Les numéros d’équilibre avec des parpaings, des poutres, un fouet, et même des flammes sont saisissants. Mais Yongoyely offre bien plus que de « simples » numéros de cirque. Le spectacle nous invite à une réflexion sur le poids des traditions en Guinée Conakry, qui frappent les petites filles dans leur chair.
Des voix enregistrées résonnent. Des témoignages documentaires qui nous bousculent et nous émeuvent :
« quand j’avais six ans » (…) « tu es supposée apprendre à être une femme » (…) « on t’emmène au Bois sacré » (…) « On te dit qu’une femme, c’est la souffrance ».
Les femmes sur le plateau ne font que tomber et se relever, toujours plus fortes et plus impressionnantes. Elles font d’incroyables acrobaties ponctuées de chants africains avec leurs voix à la limite du cri et pourtant justes et émouvantes. Leurs corps sont des machines de guerre.
Le public est estomaqué. Par les performances et par l’intensité du propos qui nous laissent sans voix et sans applaudissement pendant une demi-heure. Le silence est dense, presque religieux. J’aurais voulu applaudir à chacun des exploits physiques mais restais totalement concentré.
Et puis, petit à petit, on ne peut plus résister à l’envie de battre des mains pour saluer les exploits physiques des performeuses et performeurs. On se lâche, on se détend, on salue la puissance (la résilience, pour utiliser un mot galvaudé) de ces femmes et des hommes qui les accompagnent. Alors, comme pour se rattraper de n’avoir pas applaudi plus tôt, on finit tous debout pour les saluer.
Bravo !
Jusqu’au 02 mars 2025
La Scala, Paris Xème
1H00 | de 14€ à 38€
Direction artistique Kerfalla Camara
Mise en Cirque et Scénographie Yann Ecauvre
Avec Kadiatou Camara, Mamadama Camara, Yarie Camara, Sira Conde, Mariama Ciré Soumah, M’Mah Soumah, Djibril Coumbassa, Amara Tambassa, Mohamed Touré
Intervenants cirque Julie Delaire & Mehdi Azéma
Création musicale Yann Ecauvre et Mehdi Azéma
Chorégraphie collective Yann Ecauvre, Mehdi Azéma, Julie Delaire, Mouna Nemri & les artistes
Création de costumes Solenne Capmas
Lumières et son Jean-Marie Prouvèze
Producteur délégué Richard Djoudi
Compagnie Circus Baobab